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Photo du rédacteurAnne Amram

Promesse

Êtes-vous aussi une personne de parole ? Moi, quand j’étais ado, Marie, ma grand-mère, m’a fait promettre de toujours fleurir sa tombe. A 20 ans, maman, m’a fait promettre de toujours fleurir la tombe de sa propre grand-mère, personne née sans doute vers 1850, et que je n’ai jamais connue. J’en passe et des meilleures.

Certains sont visiteurs d’hôpitaux, moi, depuis un demi-siècle, je suis visiteuse de cimetières, témoignant à mes chers disparus et à leurs voisins immédiats le respect qu’ils méritent. Au début, il y avait bien un vieux ou l’autre de ma parentèle qui s’occupait de l’entretien. A l’époque, avec l’insouciance de mes 50 ans, je prenais cela pour acquis. Mais au fil des ans, je me suis retrouvée seule, plantée au milieu d’un cimetière désert, à méditer sur le pourquoi, comment, où, quand …

Me voilà donc, le 15 août de cette année, au cimetière de Mornimont, pour la fête de ma grand-mère. Il est vrai que, depuis quelque temps, j’avais bien vu que la santé du caveau se détériorait, à l’image de ma propre condition physique. Mais là, je ne pouvais plus tergiverser. Je devais agir. Avec mes fleurs pour seule arme, je ne pouvais pas grand-chose, à part arracher à la main les plus encombrantes et disgracieuses des adventices. Qu’elles soient vivaces, rampantes ou graminées, peu m’en chaut : toutes sont indésirables, poussées là, sous l’effet de l’humidité, de l’exposition plein sud et du bon air de la campagne !  C’est bien connu : la terre de la Basse-Sambre est noire et fertile. Le charbon doit y être pour quelque chose, mais aussi, pourquoi pas, la proximité d’industries ? Il doit bien y avoir des nanoparticules qui se font la malle, venant enrichir un sol déjà prodigue. La végétation avait donc élu domicile sur le gravier du caveau, soit ! On verrait bien qui de nous deux l’emporterait. Une fois le plus gros de la jungle arraché, je vois bien, ou plutôt je ne vois plus, les noms et dates de naissance et de mort de mes grands-parents, ni de mes grands-oncles et grands-tantes, qui ont décidé de reconstituer une joyeuse famille dans la même sépulture. Tout ce petit monde est décédé dans les années 60. Les gravures réalisées dans la pierre, du grès sans doute, sont à peine visibles. Je m’aperçois également que la croix de bois sur laquelle est cloué le christ, le tout reposant sur le gravier, est bien abimée. Pas de souci, je vais emporter l’ensemble et remplacer le bois. Ça fera tout de suite plus net. Malheur, j’ai à peine saisi le symbole de la chrétienté que le christ se détache de sa croix, il est vrai qu’il lui manquait déjà une main. Saint miracle ! A moi toute seule, j’ai décrucifié Jésus, au mépris de ses gardiens endormis. Je suis donc le sauveur de l’humanité. Vous n’avez pas saisi les répercussions de ce geste ? Puisque Jésus n’a pas été tué, les croisades n’ont pas eu lieu, les guerres de religion non plus, ni les schismes. Et, si ça tombe, sous l’effet de ce miracle historico-politique, les romains ont plié bagage. Tibère a été limogé, et que dire de Claude et de Néron ? Michel-Ange n'aurait jamais réalisé la Pieta et Leonardo da Vinci n'aurait pas peint la dernière cène, puisqu'elle n'aurait pas été la dernière, et quel est l'intérêt de peindre un simple repas entre potes ? Albert et Isabel n'auraient pas été les rois catholiques, ils n'auraient pas engagé Christophe Colomb qui n'aurait pas découvert l'Amérique. Je le savais que l'Amérique était un mythe. Les ricochets de l’histoire sont abismaux. J’en ai le tournis.

Mais, revenons sur terre ! Du concret, c’est ce que veut le peuple. En l’occurrence, il me reste à nettoyer la pierre au karcher, enlever le gravier raréfié et tristounet, poser du géotextile, remettre quelques centaines de kilos de gravier propre et joyeux, peindre les noms et dates, et bien sûr remettre Jésus en croix.


Promesse, quand tu nous tiens !

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